Flower power Acte II

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Une fois et pourquoi pas deux, sur les six éditions de l’opération Flower Power, le temps m’aura été donné de suivre la première et la seconde opération, je rêve de faire la troisième…

Petit retour en arrière, la tempête Alex le 3 octobre… un cataclysme s’abat sur ce joli coin de France qui en une nuit va être complètement retourné. Des tonnes et des tonnes de limon, des ponts et des routes arrachées et des habitants de ces vallées qui n’auraient jamais imaginé que leur paradis devienne un enfer en si peu de temps. Aide aux sinistrés, l’association créée par Wilfrid Bricourt quelques semaines après la catastrophe a remis en place des voies d’accès, déblayé des jardins, tenté de remettre les choses à leurs places pour recréer de nouveaux paysages… En ce début de printemps, la vallée de la Roya était éteinte de ses couleurs, les arbres, les plantes, les cultures tout était emporté par la rivière en colère on ne sait où laissant derrière elle le limon et… plus de jardin.

Flower Power c’est la partie visible des actions de l’association et des autres collectifs de bénévoles qui œuvrent sur le territoire. Plus discrètement c’est avec des tractopelles qu’ils poursuivent le déblaiement des chemins, l’idée étant de redonner de l’espoir aux habitants et leur offrant un peu de douceur à l’extérieur, des végétaux à bichonner , des arbres à tailler pour, dans le futur qui commence à s’écrire, imaginer des fruits à récolter. Bref, se projeter et trouver des repères dans un paysage meurtri.

Embarquée dans cette histoire. Je ne sais qu’être le témoin de cette détresse. Raconter, montrer… 7 mois après, je n’imaginais pas que le paysage soit encore tellement marqué, que ce soit à ce point impossible de mobiliser un pays autour de la tristesse des autres. Que l’empathie ne soit qu’une illusion… La première claque, je l’ai prise à Breil. Pas tellement dans le paysage que nous avons vu si souvent en images mais à la rencontre des habitants qui vacillent entre la détresse complète, le détachement et la colère. Ils sont choqués.

Ce samedi, c’est à Tende que le convoi s’est déplacé avec sept camions chargés de végétaux et des bénévoles remontés pour donner un peu de bonheur dans ce coin complètement enclavé. ( oui, désormais je sais utiliser ce mot) Imaginons un instant la vie de ces personnes qui n’ont le droit de quitter ou de rejoindre la vallée qu’en un seul passage le matin et un autre le soir. La route est bloquée pour laisser place aux travaux en journée. Les gens sont coincés et reçoivent peu ou pas de visite. Après une route en montagnes Russes au milieu des arbres arrachés, des glissières de protection chiffonnées en boules, des maisons coupées en deux, nous sommes arrivés dans un village de poupée, sinistré mais débordant de couleur avec ses façades accrochées à la montagne. Une vraie carte postale pour de futures vacances. Dans chaque vallée l’accueil est différent et là, la première personne que j’ai rencontrée en descendant du camion c’est la solaire Prescilia. Nous avons eu très peu de temps pour discuter mais ce petit bout de nana était débordant d’énergie malgré la Covid qui lui a fait baisser le rideau de son salon de thé et malgré le passage de la tempête Alex dans sa vie.

Cette fois c’est une opération artistique qui vient se glisser au milieu du jardinage. Du yarn bombing ? Ah, j’ai trouvé la corde sensible pour faire vibrer Emilie, ma pro du crochet qui a accepté de me suivre. Je ne l’avais pas avertie tout de suite, tout de suite qu’on décollait à 2 h 45 de Sérignan. Il fallait amener les choses en douceur ;-) Monique, Hélène ont tricoté depuis le Vaucluse pour venir ajouter leur œuvre aux 350 carrés tricotés et crochetés pour décorer l’espace public. Après les heures de travail chacun chez soi, place aux heures de travail pour tout coudre in situ, version yoga du banc public pour fixer les pièces, dessous et dessus.

 

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Tout à côté c’est un marché aux fleurs qui s’est improvisé en quelques minutes dans le village, des plantes sur les étals et une gratuité pour faire plaisir à tout le monde. Pari tenu, les consignes ont été respectées et au détour d’une allée de marguerites fleuries nous avons discuté, écouté, encore et encore ;

Willy m’avait prévenue. Tende c’était le niveau au dessus… Les gens sont isolés, l’ambiance est un peu plus pesante. La crainte de voir le village se déserter des habitants qui auraient perdu patience est palpable, la réouverture de la supérette fait partie des temps fort du retour à la normale après la reprise du boulanger. Les défis sont multiples : rouvrir la route, maintenir les commerces, accompagner administrativement les villageois…

Je ne suis pas prête à oublier le regard d’Angelo ce samedi matin où se lisait le désespoir d’un refus des aménagements qui sauveraient sa vie d’avant, son exploitation, sa maison… Et puis il y a eu ce monsieur en raccord de rouge que je n’ai pas photographié tellement il fallait l’écouter. Entre une poubelle et un graph’, je l’ai abordé pour le féliciter pour le raccord plante/vêtement tout en rouge. C’était harmonieux. La plante c’était pour son ex femme (c’est charmant) pas pour lui puisque son jardin n’existe plus et sa maison désormais au niveau de la rivière ne sera plus jamais son lieu de vie. En grand sur sa façade il alerte les médias, sa maison va lui être enlevée et les assurances ne suivent pas. De son terrain de 5000 m2 où il faisait ses petites cultures, de sa maison en pleine nature, il se retrouve désormais en appartement. Toute une vie au grand air enfermée désormais dans 50m2 avec le désœuvrement qui aligne les journées monotones.

Après une matinée à Tende, c’est à Saint Dalmas que nous nous sommes retrouvés. Là encore, au milieu des plantes les habitants se racontent, leur jardin est parti avec l’eau, le bruit des hélicoptères a marqué les esprits,  et puis… Avec Emilie nous nous écartons du marché qui se termine le temps de réorganiser le retour nous  descendons faire une balade (faire pipi) dans la nature. Et au détour d’un chemin nous arrivons au cimetière. En regardant vite, tout semble à peu près à sa place et puis l’œil s’arrête sur des petites choses qui clochent : les tombes sont au ras du sol, les croix sont couchées, il manque des noms sur les emplacements, les tombeaux sont endommagés et sur une pierre une plaque est fixée, un nom, une croix… le cimetière a été emporté lui aussi, près de 150 corps sont partis dans la tempête. Je sais pas quel est mon degré de sensibilité mais face à ce tableau un battement de mon cœur s’est suspendu, mes tripes se sont resserrées et les larmes me sont montées aux yeux. « C’est encore tabou on en parle peu » confie une habitante à qui je partage ma stupeur. Les images sont impressionnantes et le pire a été enlevé. De la douleur sur la douleur. Ce serait beau un jour de refleurir ce cimetière, d’en faire un lieu de paix. Mais que va-t-il en advenir, il est désormais au pied de la rivière qui a changé de place…

Nous sommes remontées sans trop dire, nous avons revu Lola et son projet de chalet suspendu à une signature au bas de papier. On reprend la route ? Quatre photos encore de ce paysage écorché pour dire, encore la misère d’une zone rurale à ne pas oublier. Loin des yeux mais pas du cœur, la Roya je ne vous oublie pas !